Publi¨¦ le 11 mars 2024 Mis ¨¤ jour le 4 septembre 2024

The Conversation - En visite ¨¤ Mayotte le 11 f¨¦vrier dernier, le ministre de l¡¯Int¨¦rieur G¨¦rald Darmanin a fait part d¨¨s sa descente d¡¯avion de la volont¨¦ du pr¨¦sident de la R¨¦publique Emmanuel Macron d¡¯inscrire la fin du droit du sol ¨¤ Mayotte dans une r¨¦vision constitutionnelle. Malgr¨¦ de vives critiques, une semaine plus tard, Emmanuel Macron d¨¦fendait son projet, d¨¦clarant : ? Mayotte est la premi¨¨re maternit¨¦ de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire de petits Fran?ais. Objectivement, il faut pouvoir r¨¦pondre ¨¤ cette situation ?.

En visite ¨¤ Mayotte le 11 f¨¦vrier dernier, le ministre de l¡¯Int¨¦rieur G¨¦rald Darmanin a fait part d¨¨s sa descente d¡¯avion de la volont¨¦ du pr¨¦sident de la R¨¦publique Emmanuel Macron d¡¯inscrire la fin du droit du sol ¨¤ Mayotte dans une r¨¦vision constitutionnelle. Malgr¨¦ de vives critiques, une semaine plus tard, Emmanuel Macron d¨¦fendait son projet, d¨¦clarant : ? Mayotte est la premi¨¨re maternit¨¦ de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire de petits Fran?ais. Objectivement, il faut pouvoir r¨¦pondre ¨¤ cette situation ?.

Si cette dynamique de restriction du droit du sol marque une rupture sans pr¨¦c¨¦dent depuis la p¨¦riode coloniale, il est important de noter qu¡¯elle n¡¯est pas enti¨¨rement nouvelle ¨¤ Mayotte, o¨´ une r¨¦forme significative du droit du sol a d¨¦j¨¤ ¨¦t¨¦ op¨¦r¨¦e en 2018.

Quels sont les effets de cette r¨¦forme et comment ¨¦clairent-ils les d¨¦bats actuels ?

La r¨¦forme du droit du sol de 2018

Le principe du droit du sol ¨¦tablit qu¡¯un enfant n¨¦ en France de parents ¨¦trangers acquiert automatiquement la nationalit¨¦ fran?aise ¨¤ sa majorit¨¦, ou par d¨¦claration anticip¨¦e ¨¤ ses 13 ans s¡¯il peut justifier de cinq ans de r¨¦sidence sur le territoire. Cependant, ¨¤ Mayotte, depuis la loi du 10 septembre 2018, les enfants n¨¦s de parents ¨¦trangers ne peuvent devenir fran?ais que si ¨¤ leur naissance au moins l¡¯un de leurs parents r¨¦sidait de mani¨¨re r¨¦guli¨¨re (sous couvert d¡¯un titre de s¨¦jour) en France depuis au moins trois mois.

Introduite dans la loi Asile et immigration de 2018 sous la forme d¡¯un amendement d¨¦pos¨¦ par le s¨¦nateur de Mayotte Mohamed Soilihi, cette r¨¦forme du droit du sol avait pour objectif d¨¦clar¨¦ de r¨¦pondre ¨¤ ? l¡¯insoutenabilit¨¦ de la pression migratoire pour les Mahorais ?. Son auteur d¨¦crivait d¨¦j¨¤ ? les milliers de femmes enceintes qui, souvent au p¨¦ril de leur vie, abordent les rivages de Mayotte avec l¡¯espoir de donner naissance ¨¤ un enfant n¨¦ sur le territoire national afin qu¡¯il puisse y ¨ºtre ¨¦lev¨¦ et ainsi b¨¦n¨¦ficier d¡¯une naturalisation par le droit du sol. ?

De fait, depuis le 1er mars 2019, en application de la loi du 10 septembre 2018, un nombre important d¡¯enfants n¨¦s ¨¤ Mayotte de parents ¨¦trangers n¡¯a plus acc¨¨s ¨¤ la nationalit¨¦ fran?aise. Selon les chiffres communiqu¨¦s par le minist¨¨re, le nombre d¡¯acquisitions de la nationalit¨¦ fran?aise ¨¤ Mayotte est pass¨¦ de 2 900 en 2018 ¨¤ 900 en 2022.

Toutefois, pour les professeurs de droit public Marie-Laure Basilien-Gainche, Jules Lepoutre et Serge Slama, signataires d¡¯une tribune dans Le Monde, la r¨¦forme n¡¯aurait pas eu le moindre effet sur les flux migratoires vers Mayotte, tandis que pour l¡¯avocate Marjane Ghaem cette situation ? ne fait que fabriquer de l¡¯¨¦tranger ?.

L¡¯¨¦volution des naissances ¨¤ Mayotte et aux Comores depuis la r¨¦forme

En effet, si l¡¯on s¡¯int¨¦resse aux statistiques d¡¯¨¦tat civil de l¡¯Insee sur les naissances ¨¤ Mayotte, un constat s¡¯impose d¡¯embl¨¦e : le nombre de naissances de m¨¨res ¨¦trang¨¨res n¡¯a pas baiss¨¦ suite ¨¤ la r¨¦forme de 2018. En 2022, sur 10 773 nouveau-n¨¦s ¨¤ Mayotte, 8 101 avaient une m¨¨re ¨¦trang¨¨re, un chiffre en hausse de 14 % par rapport ¨¤ 2018.

Deux autres comparaisons permettent de renforcer ce constat.

Tout d¡¯abord, si l¡¯on regarde l¡¯¨¦volution du nombre de naissances ¨¤ Mayotte en fonction de l¡¯origine de la m¨¨re sur la p¨¦riode 2014-2022, il appara?t clairement qu¡¯il n¡¯y a pas eu de d¨¦crochage des naissances de m¨¨res ¨¦trang¨¨res par rapport aux naissances de m¨¨res fran?aises depuis la r¨¦forme (Figure 1). Cette part est rest¨¦e stable (voire a augment¨¦), autour de 75 %.

De plus, une large majorit¨¦ de m¨¨res ¨¦trang¨¨res ¨¦tait de nationalit¨¦ comorienne sur la p¨¦riode (90 % en 2022). ? partir de donn¨¦es d¡¯enqu¨ºte collect¨¦es en 2022 aux Comores sur un ¨¦chantillon repr¨¦sentatif de plus de 6 000 m¨¦nages, il est possible d¡¯estimer l¡¯¨¦volution du nombre de naissances sur le sol comorien pour s¡¯assurer que l¡¯absence de d¨¦crochage du nombre de naissances ¨¤ Mayotte ne refl¨¨te pas une pouss¨¦e d¨¦mographique aux Comores. Cette comparaison est importante car une stagnation des naissances de m¨¨res comoriennes ¨¤ Mayotte dans un contexte de forte augmentation des naissances aux Comores signifierait que la part des m¨¨res comoriennes migrant ¨¤ Mayotte pour y accoucher a diminu¨¦e.

Comme on peut le voir sur la Figure 2 ci-dessous, l¡¯absence de d¨¦crochage observ¨¦ ¨¤ Mayotte ne s¡¯explique pas par une forte croissance d¨¦mographique aux Comores. Le nombre de naissance y est rest¨¦ relativement stable, avec 22 000 naissances environ chaque ann¨¦e, et des tendances tr¨¨s similaires ¨¤ celles observ¨¦es ¨¤ Mayotte.

Cela sugg¨¨re que la part des Comoriennes se rendant ¨¤ Mayotte pour y donner naissance n¡¯a pas baiss¨¦e suite ¨¤ la r¨¦forme du droit du sol de 2018, et ce alors m¨ºme qu¡¯elle prive d¨¦j¨¤ un nombre important d¡¯enfants de l¡¯acc¨¨s ¨¤ la nationalit¨¦ fran?aise. En effet, il est extr¨ºmement rare pour les Comoriens d¡¯obtenir un visa ou un titre de s¨¦jour pour Mayotte. Ces derniers migrent typiquement ? sans-papiers ?, via les fameux kwassa-kwassas, et ne b¨¦n¨¦ficient donc d¨¦j¨¤ plus du droit du sol puisque la r¨¦forme de 2018 requiert que l¡¯un des deux parents r¨¦side de mani¨¨re r¨¦guli¨¨re (sous couvert d¡¯un titre de s¨¦jour) sur le territoire mahorais au moins trois mois avant la naissance de l¡¯enfant.

L¡¯importance des facteurs sanitaires

Pour comprendre pourquoi tant de m¨¨res comoriennes continuent de migrer ¨¤ Mayotte pour y donner naissance, il convient de s¡¯int¨¦resser aux donn¨¦es de sant¨¦ publique. En 2021, le taux de mortalit¨¦ infantile, c¡¯est-¨¤-dire la part des nouveau-n¨¦s qui d¨¦c¨¨dent avant l¡¯?ge de cinq ans, ¨¦tait pr¨¨s de 12 fois plus grand aux Comores qu¡¯¨¤ Mayotte, tandis que le taux de mortalit¨¦ maternelle pour des causes li¨¦es ¨¤ la grossesse ou ¨¤ l¡¯accouchement ¨¦tait plus de quatre fois plus grand.

Seuls 70 kilom¨¨tres environ s¨¦parent les Comores de Mayotte. Cette proximit¨¦ g¨¦ographique, coupl¨¦e ¨¤ des diff¨¦rences abyssales en termes d¡¯efficacit¨¦ des syst¨¨mes de sant¨¦, peut expliquer pourquoi de nombreuses Comoriennes choisissent d¡¯accoucher ¨¤ Mayotte, et ce malgr¨¦ les risques li¨¦s ¨¤ la travers¨¦e.

Comme le soulignent de nombreux autres chercheurs en sciences sociales, il est peu probable que la remise en cause du droit du sol r¨¦duise le nombre de Comoriennes qui se rendent ¨¤ Mayotte pour y donner naissance. En revanche, il serait urgent d¡¯appuyer les Comores pour trouver des solutions aux graves probl¨¨mes de sant¨¦ publique auxquels est confront¨¦e sa population.The Conversation

Jules Gazeaud, Charg¨¦ de recherche CNRS, Universit¨¦ Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republi¨¦ ¨¤ partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l¡¯article original.