Publi¨¦ le 20 avril 2017 Mis ¨¤ jour le 23 octobre 2017
Louis-L¨¦opold Boilly (1761-1845), Une loge, un jour de spectacle gratuit, 1830
Louis-L¨¦opold Boilly (1761-1845), Une loge, un jour de spectacle gratuit, 1830

Un texte de La Minute Recherche par Philippe Bourdin (CHEC). ? la fin du XVIIIe si¨¨cle et pendant la R¨¦volution, une v¨¦ritable th¨¦?tromanie s¡¯empare de la France. Un public actif, animant la repr¨¦sentation de ses ¨¦changes avec les artistes, court aux spectacles.

? la fin du XVIIIe si¨¨cle et pendant la R¨¦volution, une v¨¦ritable th¨¦?tromanie s¡¯empare de la France. Un public actif, animant la repr¨¦sentation de ses ¨¦changes avec les artistes, court aux spectacles. Les salles, la plupart priv¨¦es et potentiellement r¨¦mun¨¦ratrices, se multiplient, particuli¨¨rement ¨¤ partir de janvier 1791 quand libert¨¦ en est laiss¨¦e aux entrepreneurs. Les soci¨¦t¨¦s d¡¯amateurs (bourgeoises, aristocratiques, ouvri¨¨res, voire paysannes) irriguent le territoire, et, 1789 advenu, de cercles ferm¨¦s deviennent lieux d¡¯¨¦ducation patriotique, doublant parfois l¡¯action des clubs jacobins au sein desquels elles recrutent.

De nombreux critiques, dont la d¨¦fense des r¨¨gles acad¨¦miques est le gagne-pain, voient dans la pr¨¦sence du peuple - aimant le m¨¦lange des genres ou prompt ¨¤ censurer - l¡¯une des causes de la d¨¦g¨¦n¨¦rescence du th¨¦?tre. Le poids devenu pr¨¦pond¨¦rant de la vox populi n¡¯enl¨¨ve-t-il pas ¨¤ ces journalistes une partie de leur influence ? Le ? gros go?t bourgeois ?, l¡¯ind¨¦cence populaire suppos¨¦e sont des lieux communs de leur discours sur la distinction, ¨¤ g¨¦om¨¦trie variable de la province ¨¤ Paris, au travers duquel se maintiennent ou s¡¯affirment des dominations sociales dont Grimod de la Reyni¨¨re ou Fabien Pillet sont les chantres.

En charge du maintien de l¡¯ordre, et malgr¨¦ l¡¯augmentation des soldats en faction dans les salles, les municipalit¨¦s ¨¦chouent pour leur part ¨¤ canaliser les ¨¦motions d¡¯un public tr¨¨s divers, ¨¦chauff¨¦ par l¡¯exigu?t¨¦ des lieux de repr¨¦sentation et par les enjeux politiques qu¡¯il subodore derri¨¨re la moindre r¨¦plique, le moindre chant. Les villes multiplient pourtant les interdits, qui nous d¨¦voilent en creux la nature des troubles : gestes et attitudes grivois, lancers de fruits et l¨¦gumes (variables selon la production locales), cris ou chants s¨¦ditieux, charivaris, bagarres, envahissement des coulisses ¨¤ la recherche des actrices, etc.

Asseoir le parterre, repousser les plus humbles au ? poulailler ?, tel que l¡¯a exp¨¦riment¨¦ l¡¯architecte Ledoux ¨¤ Besan?on au milieu des ann¨¦es 1770, devient un enjeu politique et social, au grand dam d¡¯auteurs comme Mercier ou Marmontel. Eux jugent irrempla?ables les ¨¦motions des foules, condens¨¦s de la nation, partageant dans la promiscuit¨¦ de la station debout toute la gamme des ¨¦motions. Le processus de sacralisation du texte, des artistes, la partition des espaces prendront plus d¡¯un si¨¨cle pour aboutir, au prix de nombreuses altercations collectives et spontan¨¦es. D¨¦sireuse d¡¯unanimit¨¦, bien plus que d¡¯¨¦galit¨¦, la R¨¦volution, pour l¡¯heure, n¡¯efface ni la hi¨¦rarchie des convenances, ni les processus de discrimination ¨¤ l¡¯?uvre sous l¡¯Ancien R¨¦gime.

  • Philippe BOURDIN, ? Le peuple obsc¨¨ne, ou les atours ¨¦litistes et r¨¦pressifs de la sociabilit¨¦ th¨¦?trale en R¨¦volution ?, Revue d¡¯Histoire du Th¨¦?tre, n¡ã 269, 1-2016, p. 67-84