L¡¯alcoolisme m¨¦dicamenteux. Un danger pour la sant¨¦ publique ¨¤ la Belle ?poque en France

Fin 1899, le jeune m¨¦decin hospitalier Lucien Jacquet prend la parole devant la Soci¨¦t¨¦ m¨¦dicale des h?pitaux de Paris. Il pr¨¦sente un rapport choc, intitul¨¦ ? Alcool. Maladie. Mort ?, qui alerte sur les cons¨¦quences n¨¦fastes des m¨¦dicaments ¨¤ base d¡¯alcool.

Ceux-ci sont tr¨¨s largement utilis¨¦s dans la posologie m¨¦dicale contemporaine, dans une tradition remontant aux pr¨¦ceptes antiques puis ¨¤ la pharmacop¨¦e m¨¦di¨¦vale. Or, comme l¡¯indique l¡¯enqu¨ºte men¨¦e dans 14 h?pitaux parisiens dans les mois pr¨¦c¨¦dents, cette pratique entra?ne des d¨¦rives toxiques : les patients prennent en effet l¡¯habitude de consommer incidemment de l¡¯alcool et en d¨¦veloppent, pour nombre d¡¯entre eux, une accoutumance.

Il faut dire que l¡¯utilisation de boissons alcoolis¨¦es pour soigner ou gu¨¦rir est une pratique ancienne. Le vin, par exemple, est employ¨¦ depuis l¡¯antiquit¨¦ pour lutter contre certaines fi¨¨vres, des douleurs cibl¨¦es (dents) ou encore pour faciliter la digestion. Il est ainsi abondamment employ¨¦ dans des m¨¦langes m¨¦dicinaux, aux noms pseudo-scientifiques : ? rem¨¨de ?, ? ¨¦lixir ?, ? formule ?. Plus g¨¦n¨¦ralement, il est consid¨¦r¨¦ comme un remontant ou un fortifiant, utile ¨¤ l¡¯¨¦conomie g¨¦n¨¦rale du corps. Le vin est alors utilis¨¦ pour ses propri¨¦t¨¦s suppos¨¦es ou parfois comme ? v¨¦hicule ? pour le principe actif, permettant une meilleure ingestion par son go?t notamment.

En usant largement de ces techniques de soin par l¡¯alcool, m¨¦decins et pharmaciens diffusent au XIXe si¨¨cle dans la population fran?aise des habitudes de consommation dont vont s¡¯emparer de grosses machines entrepreneuriales. En effet, les succ¨¨s commerciaux de produits m¨¦dicaux invent¨¦s par des pharmaciens (comme le ? Vin de Seguin ? par exemple) suscitent des convoitises. Dans ce contexte, le dernier quart du XIXe si¨¨cle voit des soci¨¦t¨¦s hors champ m¨¦dical proposer des boissons alcoolis¨¦es aux effets th¨¦rapeutiques : vin m¨¦lang¨¦ ¨¤ des feuilles de coca, absinthe, gentiane, quinquina inondent le march¨¦, port¨¦s par des soci¨¦t¨¦s aux moyens financiers et publicitaires extraordinaires (Mariani, Dubonnet, Saint-Rapha?l, Byrrh, Suze, Cusenier).

Les antialcooliques, au premier rang desquels les m¨¦decins, tirent alors la sonnette d¡¯alarme, ¨¦voquant un ? alcoolisme m¨¦dicamenteux ? rampant et d¨¦vastateur, malheureusement l¨¦gitim¨¦ par les pratiques m¨¦dicales et d¨¦voy¨¦s par les soci¨¦t¨¦s commerciales.
Mais les effets de cette mise en garde sont tr¨¨s limit¨¦s : le mal est profond, enracin¨¦ dans des pratiques et des croyances ancestrales, assimilant paradoxalement ¨C encore de nos jours malgr¨¦ les connaissances m¨¦dicales ¨C un produit toxique, l¡¯alcool, ¨¤ une d¨¦marche curative, le soin.