Publi¨¦ le 20 mars 2020 Mis ¨¤ jour le 23 mars 2020

Un texte de la Minute Recherche par Philippe Arnaud (GReD, unit¨¦ mixte de recherche Inserm / CNRS / Universit¨¦ Clermont Auvergne).

Notre ADN poss¨¨de un r¨¦pertoire de pr¨¨s de 20 000 g¨¨nes qu¡¯il convient d¡¯¨¦teindre et d¡¯allumer pr¨¦cis¨¦ment en temps voulu afin d¡¯assurer l¡¯int¨¦grit¨¦ de l¡¯organisme. Ainsi les g¨¨nes actifs (exprim¨¦s) dans les cellules de l¡¯iris sont diff¨¦rents, et n¡¯assurent donc pas la m¨ºme fonction, que ceux exprim¨¦s dans le foie. Afin d¡¯orchestrer cette partition, la cellule fait appel ¨¤ un panel de modifications chimiques, dites ¨¦pig¨¦n¨¦tiques, qui en se d¨¦posant sur les g¨¨nes forment des signaux qui distinguent ceux qui doivent ¨ºtre exprim¨¦s de ceux qui doivent rester ¨¦teints. Parmi ces modifications, la m¨¦thylation de l¡¯ADN est la mieux caract¨¦ris¨¦e, son r?le essentiel dans le d¨¦veloppement des mammif¨¨res n¡¯¨¦tant plus ¨¤ d¨¦montrer.

Sans surprise, cette partition est profond¨¦ment alt¨¦r¨¦e dans les cellules canc¨¦reuses qui se caract¨¦risent en effet par l¡¯expression anarchique d¡¯une partie de leurs g¨¨nes. La m¨¦thylation de l¡¯ADN, dont la distribution le long de la mol¨¦cule d¡¯ADN est ¨¦galement largement perturb¨¦e dans les cellules canc¨¦reuses, est commun¨¦ment consid¨¦r¨¦e comme l¡¯une des causes principales de cette alt¨¦ration. Ce postulat n¡¯a pour autant jamais ¨¦t¨¦ v¨¦rifi¨¦ de fa?on syst¨¦matique.

Sur ce constat, nous avons utilis¨¦ le gliome, la forme la plus r¨¦pandue des tumeurs c¨¦r¨¦brales, pour ¨¦tablir la contribution exacte des alt¨¦rations de m¨¦thylation aux d¨¦fauts d¡¯expression des g¨¨nes dans les cellules canc¨¦reuses.

? contrepied de ce qui est commun¨¦ment admis, nos donn¨¦es relativisent l¡¯importance de la m¨¦thylation sur l¡¯expression anarchique observ¨¦e dans les gliomes. C¡¯est l¡¯alt¨¦ration d¡¯une autre marque, au nom scientifique de H3K27me3, qui ¨¦merge ici comme ¨¦tant le d¨¦faut majeur des g¨¨nes d¨¦r¨¦gul¨¦s. Cette modification chimique, ¨¤ la diff¨¦rence de la m¨¦thylation, ne cible pas l¡¯ADN mais les prot¨¦ines (histones) qui forment le nucl¨¦osome, structure autour de laquelle s¡¯enroule l¡¯ADN pour former la chromatine.

Nos r¨¦sultats r¨¦v¨¨lent que la pr¨¦sence de H3K27me3 sur les g¨¨nes dans les cellules souches embryonnaires humaines, qui vont donner naissance ¨¤ l¡¯ensemble des cellules de l¡¯organisme, pr¨¦dispose ces g¨¨nes ¨¤ ¨ºtre d¨¦r¨¦gul¨¦s dans les cellules canc¨¦reuses. De plus, le niveau d¡¯activit¨¦ des g¨¨nes dans le cerveau sain va influencer le m¨¦canisme par lequel ils seront ¨¦ventuellement ¨¦teints dans le gliome. Les g¨¨nes fortement actifs sont en effet bien plus susceptibles d¡¯¨ºtre ¨¦teints par H3K27me3 que par la m¨¦thylation.

Cette ¨¦tude, qui revisite le lien entre alt¨¦rations ¨¦pig¨¦n¨¦tiques et expression g¨¦nique anarchique dans les cancers, nous incite ¨¤ ¨¦largir notre vision dans le cadre de d¨¦veloppement de m¨¦dicaments visant ¨¤ cibler les d¨¦fauts ¨¦pig¨¦n¨¦tiques dans les cancers.

L¨¦gende illustration
Une distribution inappropri¨¦e de la marque H3K27me3 est la cause principale de l¡¯activit¨¦ anarchique des g¨¨nes dans les gliomes. Les g¨¨nes (rectangles gris) qui pr¨¦sentent un gain d¡¯activit¨¦ aberrant dans les gliomes (panel du haut) se caract¨¦risent par une perte de la marque H3K27me3 (en rouge), ¨¤ laquelle ils sont associ¨¦s dans le cerveau sain, et un gain de la marque active H3K4me3 (en vert). De fa?on inattendue ce gain d¡¯expression est associ¨¦ ¨¤ un gain de m¨¦thylation ADN pour un sous-groupe de g¨¨nes. A l¡¯inverse les g¨¨nes qui s¡¯¨¦teignent dans le gliome (panel du bas) sont associ¨¦s ¨¤ un gain aberrant de H3K27me3. Seule une minorit¨¦, principalement ceux qui ont un niveau faible d¡¯activit¨¦ dans le cerveau sain, gagneront ¨¦galement de la m¨¦thylation ADN, qui est probablement subs¨¦quent au gain de H3K27me3.