Les firmes socialement responsables sont-elles plus difficiles ¨¤ arbitrer ?
L¡¯hypoth¨¨se d¡¯efficience des march¨¦s postule que les prix des actifs financiers repr¨¦sentent la meilleure ¨¦valuation de la valeur fondamentale des dits actifs. L¡¯un des ¨¦l¨¦ments sous-tendant cette hypoth¨¨se est la pr¨¦sence sur les march¨¦s d¡¯op¨¦rateurs qualifi¨¦s d¡¯? arbitragistes ? dont l¡¯objet est de profiter des anomalies de march¨¦s, c¡¯est-¨¤-dire des diff¨¦rentiels entre valeur de march¨¦ et valeur fondamentale. Ainsi, un arbitragiste ach¨¨tera les actifs consid¨¦r¨¦s comme sous-¨¦valu¨¦s et vendra ceux consid¨¦r¨¦s comme sur¨¦valu¨¦s, corrigeant ainsi les anomalies.
En r¨¦alit¨¦, les arbitragistes doivent faire face ¨¤ trois principales contraintes, ¨¦galement qualifi¨¦es de limites ¨¤ l¡¯arbitrage : l¡¯incertitude informationnelle, les co?ts de transaction, et le risque sp¨¦cifique. L¡¯incertitude informationnelle repr¨¦sente la capacit¨¦ d¡¯un investisseur qualifi¨¦ ¨¤ ¨¦valuer la valeur fondamentale d¡¯une firme ¨¤ un co?t raisonnable (limite 1). Les co?ts de transaction (commissions, fourchettes de prix, impact de march¨¦), s¡¯ils sont significatifs, peuvent rendre l¡¯arbitrage inint¨¦ressant ¨¦conomiquement (limite 2). Enfin, les arbitragistes ¨¦tant souvent sous-diversifi¨¦s, le risque sp¨¦cifique auquel ils s¡¯exposent ne peut pas ¨ºtre ¨¦limin¨¦, pouvant ainsi dissuader l¡¯arbitrage s¡¯il est trop ¨¦lev¨¦ (limite 3).
Alors que de nombreuses ¨¦tudes r¨¦centes se sont int¨¦ress¨¦es ¨¤ la performance sociale et environnementale des entreprises (RSE) et ¨¤ son lien avec la performance financi¨¨re, aucune n¡¯a jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent ¨¦valu¨¦ son impact sur les limites ¨¤ l¡¯arbitrage. Th¨¦oriquement, deux scenarios sont envisageables et aboutissent ¨¤ des conclusions oppos¨¦es. Dans le premier scenario, la RSE permettrait de r¨¦duire la variabilit¨¦ des r¨¦sultats de l¡¯entreprise en la rendant plus p¨¦renne. Cela aurait pour effet d¡¯en faciliter l¡¯¨¦valuation et de r¨¦duire l¡¯incertitude informationnelle, d¡¯autant plus qu¡¯un comportement ? ¨¦thique ? se traduirait par une meilleure qualit¨¦ de l¡¯information comptable (limite 1). Par ailleurs, les investisseurs institutionnels ¨¦tant de plus en plus soucieux de la performance extra-financi¨¨re, la RSE serait associ¨¦e ¨¤ une plus grande d¨¦tention par ces investisseurs. La liquidit¨¦ associ¨¦e ¨¤ une d¨¦tention institutionnelle importante serait alors de nature ¨¤ r¨¦duire les co?ts de transaction associ¨¦s ¨¤ ces titres (limite 2). Enfin, un comportement plus responsable permettrait de r¨¦duire certains risques (poursuites judiciaires, boycotts), r¨¦duisant ainsi le risque sp¨¦cifique de l¡¯entreprise (limite 3). Ainsi ce sc¨¦nario aboutit ¨¤ postuler une relation n¨¦gative entre RSE et limites ¨¤ l¡¯arbitrage.
Dans le second sc¨¦nario, la RSE pourrait ¨¤ l¡¯inverse rendre l¡¯¨¦valuation des entreprises plus d¨¦licate. En effet, aucune d¨¦finition officielle de cette m¨¦trique n¡¯existe et les normes de divulgations laissent ¨¦norm¨¦ment de place ¨¤ l¡¯interpr¨¦tation. Les informations sociales et environnementales pourraient dans cette optique repr¨¦senter un ? bruit ? non n¨¦cessairement li¨¦ aux fondamentaux, et rendant par cons¨¦quent l¡¯¨¦valuation des entreprises plus ardue (limite 1). Par ailleurs, le lien entre RSE et performance financi¨¨re demeure ¨¦quivoque. Ainsi, les co?ts associ¨¦s aux politiques sociales et environnementales pourraient contribuer ¨¤ r¨¦duire les marges de man?uvre des entreprises, rendant leurs r¨¦sultats financiers plus incertains (limite 3). De m¨ºme, les politiques environnementales et sociales pourraient ¨¦galement faire partie de strat¨¦gies d¡¯enracinement de la part des dirigeants, augmentant les probl¨¨mes d¡¯agence et les co?ts de transaction (limite 2). Ce second sc¨¦nario aboutit ainsi ¨¤ postuler une relation positive entre RSE et limites ¨¤ l¡¯arbitrage.
La relation entre RSE et limites ¨¤ l¡¯arbitrage est par cons¨¦quent une question empirique. Pour la traiter, nous ¨¦tudions un ¨¦chantillon d¡¯entreprises de l¡¯indice boursier am¨¦ricain S&P 500 (2002-2020) et montrons que les entreprises socialement responsables sont associ¨¦es ¨¤ un degr¨¦ plus ¨¦lev¨¦ de limites ¨¤ l¡¯arbitrage. Notre ¨¦tude sugg¨¨re ainsi que les politiques de RSE men¨¦es par les entreprises rend l¡¯activit¨¦ d¡¯arbitrage plus difficile et plus risqu¨¦e, conduisant ¨¤ une mauvaise ¨¦valuation des prix des actions. Cette relation est de nature ¨¤ r¨¦duire l¡¯efficience des march¨¦s et donc ¨¤ induire une mauvaise allocation du capital.
https://www.erudit.org/en/journals/mi/1900-v1-n1-mi07950/1098928ar/abstract/